Vers la fin des années 1940, sept patient(e)s du Rockland Psychiatric Center dans l’état de New York créent un groupe d’entraide et se rencontrent dans un des salons de l’hôpital qui leur tient lieu de « Club Room ». Cette initiative vise à préparer leur sortie de l’institution et à affronter les nombreux défis qui s’ensuivront: recherche d’un logement, chasse à l’emploi, conduite des relations humaines et gestion des rechutes inévitables. Peu après avoir reçu leur congé, les membres du groupe se réunissent sur les escaliers du New York City Public Library pour recréer l’expérience du Club Room. Ils/elles souhaitent ainsi favoriser leur rétablissement, développer un système d’entraide et contribuer à changer les perceptions sociales envers les gens vivant avec un trouble de santé mentale. Le groupe de soutien s’appellera « WANA », We Are Not Alone (Nous ne sommes pas seuls).

En 1948, grâce à l’apport financier de deux bénévoles fortunées, Elizabeth Schermerhorm et Hetty Richard, ainsi qu’à un don du National Council of Jewish Women, on fait l’acquisition d’un immeuble de la rue West 47th à New York. Cette maison, appelée Fountain House en raison de la petite fontaine ornant le jardin arrière, deviendra le Clubhouse de WANA.

Photo de Clubhouse International
Structuré de façon à offrir un soutien social à des ancien(ne)s patient(e)s psychiatriques et à leur offrir un lieu de rencontre, Fountain House fonctionne grâce à la participation exclusive d’ex-patient(e)s psychiatriques et de bénévoles. Les personnes fréquentant la maison sont considérées comme des membres et non des patient(e)s, et peuvent conserver ce statut aussi longtemps qu’ils/elles le souhaitent. Fountain House grandissant, les membres décident d’embaucher des professionnel(le)s non bénéficiaires de services de santé mentale pour gérer l’organisme. Les premiers personnels sont donc recrutés en 1955. Malgré ce virage, Fountain House conserve son caractère et sa philosophie de Clubhouse, car ses membres font preuve de leadership et défendent leurs idéaux. Après que différents gestionnaires aient dirigé le centre avec plus ou moins de succès, on recrute un travailleur social nommé John Beard (Pratt, Gill, Bartlett & Roberts, 2006). Roberts, 2006).
Avant son embauche, Beard affichait des idées non-conventionnelles et avant-gardistes concernant la réhabilitation des personnes souffrant de problèmes de santé mentale sévères.
« Dans un grand établissement psychiatrique surveillé accueillant des malades chroniques, Beard avait développé une thérapie auprès de patients relégués aux oubliettes. C’était avant l’arrivée des médicaments psychotropes et l’approche de Beard misait sur le développement de relations ciblant l’expression de la santé plutôt que les symptômes de la maladie. (Anderson, tel que cité dans Adkins & Lenyoun, 2004). Par exemple, il avait commencé à résoudre des problèmes d’algèbre avec un patient qui, marmonnant qu’il était persécuté, avait néanmoins manifesté un intérêt pour cette discipline. Beard avait aussi convaincu plusieurs employeurs de confier un travail à temps partiel à des membres du Clubhouse. Il assurait lui-même leur formation, travaillait avec eux/elles par moments et se portait responsable de leur rendement. Il avait découvert que plus les patient(e)s persévéraient au travail, plus les symptômes de leurs maladies diminuaient, et plus les manifestations de leur santé et de leur normalité augmentaient. » (Adkins & Lenyoun, 2004, p.22.)
L’approche de Beard, bien que non-conventionnelle aux yeux de l’establishment de l’époque, cadre parfaitement avec la vision de Fountain House, et ses membres y puisent énergie et inspiration. Beard transforme l’organisme : de simple club social, il devient un véritable établissement de réhabilitation psychiatrique axé sur une approche globale – ce qui jette les bases du modèle Clubhouse (Beard, Propst & Malamud, 1982).
« Beard ouvre les portes de Fountain House pendant des journées complètes et invite les membres à participer au nettoyage, à la peinture et à la remise en état des diverses pièces de l’immeuble. Il encourage d’autres membres à épauler une secrétaire jusque-là chargée de toutes les tâches administratives. Comme le Clubhouse est désormais fréquenté à longueur de jour, Beard embauche un employé qui accompagne certains membres dans la préparation et le service des repas pour les personnes présentes. Bientôt s’ajoutent d’autres activités de travail répondant aux besoins du Clubhouse. Dès lors, un modèle s’installe: membres du Clubhouse et membres du personnel travaillent ensemble afin d’accomplir les tâches nécessaires au fonctionnement de l’organisme. Par le biais de leur participation, les membres s’aident eux-mêmes tout en soutenant le Clubhouse. La coopération issue du travail commun et l’appréciation exprimée par ceux qui en bénéficient contribuent à tisser des rapports mettant en valeur la contribution des membres. Ceux-ci évoluent donc dans un milieu où ils se sentent bienvenus, nécessaires, valorisés, ce qui a un impact bénéfique car leur image d’eux-mêmes s’en trouve transformée. » (Adkins & Lenyoun, 2004, p. 22)
Lorsque se dessine un mouvement favorisant l’établissement d’une hiérarchie accordant un pouvoir décisionnel à certains membres, Beard renverse la tendance. Il inculque plutôt les principes d’égalité suivants au sein du mouvement Clubhouse : admettre toute personne vivant avec une maladie mentale comme membre ; traiter tous les membres en égaux et leur accorder une voix égale à l’égard du fonctionnement de leur Clubhouse.

En 1980, Rudyard Propst est embauché à titre de directeur des volets d’éducation et de formation au Fountain House. Pendant son mandat, il intègre pleinement les membres dans les programmes de formation du personnel (Glickman, c.2013). Ce changement, ainsi que l’influence de Propst, ouvrent la voie à l’intégration complète des membres dans le développement et la prise de décisions qui aboutiront à l’établissent des standards des programmes de Clubhouse international en 1989. Depuis, membres internationaux et membres des personnels partagent le pouvoir décisionnel en ce qui a trait aux amendements des standards. Les standards actuels peuvent être consultés ici.
John Beard et Rudyard Propst comptent parmi les principaux pionniers et visionnaires du mouvement Clubhouse. Mus par la volonté de former un Clubhouse communautaire axé sur une égalité radicale (Vorspan, 2005), ils poussent, malgré quelques résistances, le mouvement Clubhouse grandissant à maintenir une égalité absolue entre les membres et les membres du personnel. Selon Beard, le futur des clubhouses repose sur le principe du partage des fonctions clés entre le personnel et les membres, ces derniers ne devant pas être réduits à exercer des fonctions triviales (Glickman, c. 2013).
Pendant près de trente ans, le programme de Fountain House s’est doté d’un fonctionnement unique en son genre; il s’est distingué d’autres programmes de santé mentale en mettant l’accent sur le partage du travail entre les membres et le personnel, tous œuvrant côte à côte et exerçant toutes les fonctions du Clubhouse dans l’égalité et la collaboration. En contrepartie, l’establishment de la santé mentale continuait à baser les programmes de santé mentale sur un modèle médical réducteur, où les personnes psychiatrisées sont des patients, de simples « malades mentaux », plutôt que des êtres humains à part entière.
Le programme Fountain House a développé un modèle pour ce qui est devenu le modèle Clubhouse, basé sur des faits probants concernant la réhabilitation psychosociale. Aujourd’hui, on compte plus de 320 Clubhouses à travers le monde.
Le mouvement international des Clubhouses est dirigé par Clubhouse International (anciennement connu sous le nom de International Center for Clubhouse Development [ICCD]). Fidèle aux valeurs originelles de l’organisme, ses membres, des personnes vivant avec un trouble de santé mentale, y détiennent des postes significatifs.
Adkins, V., & Lenyoun, M. (2004, Summer). An Active Treatment Alternative: A Clubhouse Model. The Journal of Cognitive Rehabilitation, 22-26.
Beard, J. H., Propst, R. N., & Malamud, T. J. (1982). The Fountain House model of psychiatric rehabilitation. Psychosocial Rehabilitation Journal, 5(1), 47-53.
Glickman, M. (ca. 2014). Integration: Its Evolution in the History of the Clubhouse Movement.
Pratt, C. W., Gill, K. J., Barrett, N. M., & Roberts, M. M. (2006). Psychiatric Rehabilitation. Elsevier.
Vorspan, R. (2005). What Makes Clubhouse Communities True Clubhouse Communities?.